L'artiste
populaire Stanislovas Riauba
Kaukė (Masque), Stanislovas
Riauba 1965, h 51,
LDM,
Stanislovas
Riauba, vie et œuvre
d’un artiste populaire lituanien
Les
œuvres de Riauba qui ont le plus de valeur sont
aujourd’hui conservées dans les
musées lituaniens[1].
Riauba
offrait facilement ses sculptures ou les vendait pour presque rien
à ses
invités ou à des collectionneurs. Stanislovas
Riauba est né le 13 novembre 1904 à Godeliai,
petit
village du canton de Plateliai,
dans le district de Kretinga. Il fut élevé par sa
mère seule, Kotryna Riaubaitė,
qui vivait elle-même avec ses frères dans une
vieille
ferme. Déjà pendant son
enfance, le jeune garçon, humilié et
mal-aimé,
connut la pauvreté et la misère.
Il n’alla pas à l’école et
apprit par
lui-même à lire et à écrire.
A partir de son
adolescence, il dut travailler dur à la ferme de ses oncles
et
tantes. Il était
très doué de ses mains et savait faire toutes
sortes de
travaux. Enfant vif et
agile, il passait ses moments de loisir dans la nature, observant les
oiseaux,
les insectes et les animaux. Le village de Godeliai, où
Riauba
passa toute sa
vie, était dressé au milieu de collines
vallonnées, de taillis et de grandes
forêts. On y comptait trente-quatre fermes, et
près de
chacune d’elles,
s’élevait une chapelle miniature ou un reposoir
à
sculptures de saints
(poteau-chapelle). On trouvait également beaucoup de tels
reposoirs au bord des
routes en direction de Plateliai, Šateikiai et Plungė. Le
futur
artiste
populaire voyait les dievadirbiai
(littéralement, les artisans de Dieu) au travail et
connaissait bien leurs ouvrages.
Il était séduit par la beauté des
églises, par les autels aux arcs en ogives
avec sculptures, des petites tours ornées de feuilles
trifoliées, de roses
rondes et de petites étoiles. Emerveillé, il
observait les bruyants défilés
costumés
de Mardi gras. Il aimait prendre part aux joyeuses kermesses
où participaient
des farceurs de toutes sortes. Il aimait particulièrement
écouter des histoires
qui le tenaient en haleine ou des récits fantastiques. Et
ces impressions
vécues pendant l’enfance restèrent
gravées dans son esprit toute sa vie. Stanislovas
Riauba réalisa ses premiers petits objets à
l’âge de 16 ans, quand il était
berger. Avec un petit couteau, il taillait des oiseaux, des animaux,
des pipes,
des cadres, des petites boîtes, qu’il
décorait de pétales et de petites rainures.
A la demande des voisins et en prenant pour modèle les
sculptures des dievadirbiai, il
commença à produire de
petites statues à l’effigie de Sainte Barbe, Saint
Antoine, Saint George et
Saint Joseph. Il ciselait minutieusement les corps des figurines, leurs
visages, d’infimes détails et les plis de leurs
habits, puis les peignait. Il
confectionnait les masques traditionnels de Mardi gras. Comme il avait
un
talent inné, il se mit à tailler de grandes
sculptures sans beaucoup de
difficultés. En 1936, Riauba créa une sculpture
de haute taille à la forme
artistique expressive représentant Après
la
guerre, Riauba travailla dans la ferme de sa tante et alla au kolkhoze
à sa
place. Il ne se maria jamais. Il s’évadait des
fatigues de la vie quotidienne
en plaisantant, rapportant de façon pittoresque les divers
contes et récits
qu’il avait entendus. Mais derrière le plaisantin,
le blagueur, le conteur
enjoué, se cacha sa douce et sensible nature artistique. Il
s’oubliait
complètement lorsqu’il sculptait. La flamme
créative qui brûlait en lui le
réchauffait et apaisait son âme
esseulée. Son œuvre lui apporta moralement une
joie et un plaisir particuliers. En 1961,
le critique d’art Aleksandras Kancedikas rendit visite
à Riauba et décrivit la vie
de celui-ci dans un journal : « La
chaumière dans laquelle vit Riauba est plongée
dans la pénombre. Une pièce
regorge de petits personnages imaginaires, d’animaux et
d’oiseaux fantastiques.
Il n’a jamais été plus loin que son
village de Godeliai et n’a pas non plus
fondé de famille. ». Il
sculptait des objets d’ornement pour la vie
courante, comme de petites boîtes et de petits cadres
qu’il décorait avec des
fleurs, des étoiles, des feuilles trifoliées et
des grappes de raisin en
relief. Il diversifiait ses porte-serviettes, cendriers et cannes avec
des
motifs artistiques et peignait toujours ses œuvres de
couleurs simples. Le
maître populaire sculpta un grand nombre de petits animaux
aux formes
primitives réalistes qu’il offrait aux enfants. Il
travailla moins sur les
sculptures des saints et laissa son esprit et ses fantaisies
s’épanouir dans
des thèmes profanes et historiques. Les contes et
légendes, ainsi que les
représentations du bien et du mal, inspirèrent
grandement son œuvre. Dans la composition L’artiste
laissa dans son œuvre une large place à
l’habitant des forêts de jadis :
le diable. Le sculpteur représente celui-ci dansant avec une
sorcière, jouant
de l’harmonica, ou emportant la bigote en enfer. La
composition du diable
dansant avec la sorcière se distingue par son
caractère ludique et expressif.
Dans les sculptures se reflètent également les
instants de la vie quotidienne
et il tourne souvent en dérision les vices par des
contrastes ironiques ou des comparaisons
pleines d’esprit. Dans les compositions artistiques comme Le Meunier, Le Seigneur et le Paysan, Mathieu et Barbara, Au
marché, ou encore Les
Musiciens,
on trouve une bonne dose d’humour léger et de rire
bon-enfant. Les corps de
certains personnages sont défigurés,
déformés, pour tenter de représenter
l’expression d’un mouvement réellement
vivant. Le plus souvent, la position des
figurines est statique et frontale, les formes sont monumentales et
décoratives, et les surfaces, polies et peintes de
façon unie. Le sculpteur porte
surtout une attention spéciale aux visages des personnages.
Il peut y accentuer
le caractère, le fondement des émotions. Leurs
longs nez crochus et ronds, et
leurs yeux exorbités font penser à des oiseaux.
Le meunier au nez crochu par
exemple ressemble à un rapace. Les visages des seigneurs et
des riches sont
ronds, aux joues gonflées, rougies, les commissures des
lèvres, tombantes, et
les yeux aux pupilles noires sont grands et affreux. Les images des
dinosaures
et des hommes préhistoriques vus dans les manuels scolaires
ont excité
l’imagination fertile de l’artiste populaire. Des
bêtes sauvages et animaux
fantastiques sont alors apparus dans son œuvre. Il sculpta
des singes aux poils
courts et longs avec des visages plats. Les dragons
de Riauba sont particulièrement expressifs avec leur dos
rond allongé, leurs
ailerons hérissés de piquants, leur queue
d’écailles, leur bouche grande ouverte
et leurs longues langues fines. Ils ont une forme expressive
particulière, un
esprit romanesque et leur représentation est monumentale.
Parmi les oiseaux, on
peut rencontrer un hibou grand-duc aux oreilles ornées de
longues touffes, une
chauve-souris violette aux battements d’ailes silencieux, et
une chouette brune
étendant amplement ses ailes bigarrées. Le Charmeur
de serpent et Le Comte de Plateliai sont aussi
à classer parmi les œuvres les plus
significatives. Le corps du charmeur est déformé,
et dans ses grandes mains se
contorsionne le serpent agité. Les poils fixés
près du visage du comte
l’associent à la tradition des masques. Les
sculptures paraissent effrayantes,
pleines d’expression et de vitalité. Ses petites
figurines, Riauba les appelait
des faifokliai[2].
Il chercha sciemment à créer quelque chose de
neuf, d’étrange, de fantastique. En 1964,
une première exposition des œuvres de Riauba fut
organisée à Vilnius. Le
journaliste Tomas Sakalauskas écrivit à propos du
talentueux artiste
populaire : « Au
milieu d’une
foule de gens se tenait un petit homme silencieux, perdu dans ce milieu
très
inhabituel et tout à fait étranger. Il avait
l’air tellement effrayé, si loin
de ce qu’il est. Les gens, voyant ses sculptures si
colorées, si originales,
aux formes d’un caractère tellement populaire,
voulaient en savoir plus, mais
lui se taisait… Aucune histoire sur sa vie, existence sans
évènement, sans
tragédie, qui se passa entièrement dans le
village de Godeliai. ». Le
sculpteur Konstantinas Bogdanas qualifia le talent du maître
populaire en ces
mots : « Le plus
agréable, c’est
que la touche créative de Riauba est toujours
différente et originale si l’on
compare ses travaux avec ceux des autres sculpteurs. Dans tous les
travaux de
Riauba, on ressent constamment le caractère autodidacte et
la profonde
tradition de l’art sculptural populaire. » En 1965,
laissant sa petite chaumière qui tombait en ruine, Riauba
alla s’installer chez
ses voisins Justinas et Regina Jonušai, qui accueillirent de
bon cœur le maître
solitaire et abandonné. Dans la vieille ferme des
Jonušai, il se consacra avec
enthousiasme à la réalisation de ses sculptures
et de divers petits objets. Au
plafond, il accrocha des étoiles sculptées et
peintes et un lustre, sur les
murs, de petits cadres avec photo, un accroche-serviette
orné d’un petit génie,
un soleil, une lune… Il y installa un petit autel, des vases
en bois et une
lanterne. Dans le petit jardin près de sa fenêtre,
il planta des sapins, des
pins, des trembles et des bouleaux. De petits oiseaux en bois
sculptés et
peints étaient perchés sur les branches des
arbres, aux pieds desquels
poussaient des champignons de bois et un écureuil sautillait
sur le bord de la
fenêtre. La petite chambre elle-même
était remplie de sculptures peintes ou
non. Le maître populaire les sculptait en hiver et, de
Pâques au dimanche
suivant, il les peignait. Pour ses travaux, il utilisait le tilleul et
le
tremble mais il aimait aussi travailler le chêne. En
été, il se levait tôt,
bien avant l’aube, et marchait sans but pendant des heures et
des heures dans
les bois, observant les élans, les sangliers, les renards,
ramassant des
myrtilles et des champignons. Dans une lettre, il
écrivit : « J’attends
l’arrivée de l’été
sacré pour
aller dans les champs, les prés, les bois, pour
écouter le chant des oiseaux et
je serai à nouveau bien. » Des
prés en fleurs, il ramenait des
bouquets multicolores qu’il mettait dans de petits vases de
bois près l’autel
et ses petites sculptures de Au milieu
des années soixante, l’œuvre de Riauba
s’enrichit de nouveaux thèmes et d’une
dimension psychologique. Un des plus beaux travaux dans
l’héritage du sculpteur
est Le talent
du sculpteur autodidacte s’est épanoui dans ses
derniers travaux. Dans les sculptures L’Artiste,
Le Chevalier, Durant
toute sa vie, Riauba vécut avec la nature dans le village de
Godeliai. Dans ce
petit coin perdu de Samogitie, le cœur de l’artiste
populaire de talent battait
avec force, plein de rêves, de pensées et de
projets créatifs. Riauba est mort
le 12 avril 1982 et fut enterré dans le cimetière
de Beržoras. Stanislovas
Riauba se chercha lui-même à travers ses
sculptures primitives en se tournant
vers la nature, son village natal, la sculpture populaire et les
traditions
folkloriques. Mais c’est la culture spirituelle nationale qui
a donné la plus
forte impulsion à son œuvre. Dans la
personnalité de l’artiste, l’art
populaire
traditionnel est mêlé à son talent de
créateur, son ardeur, sa vitalité et sa
créativité. Riauba sculpta pour
lui-même et pour les gens de son village et ni
le temps ni la mode ne peuvent ébranler son œuvre,
qui coule comme une source
claire et vivifiante. Les œuvres de l’artiste
populaire ont enrichi non
seulement Traduit du
lituanien par Sylvie
Burin des Roziers [1] Essentiellement au Lietuvos dailė muziejus (LDM, Vilnius), au Žemaičių dailės muziejus (ŽDM, Plungė) et au Žemaičių muziejus Alka (ŽMA, Telšiai), ainsi qu’au Lietuvos liaudies kultūros centras (LLKC, Vilnius). [2] Selon Aldona Ulevičienė, le mot faifoklis semble se référer à la pratique de l’heure du thé (five o’clock) dans les manoirs des seigneurs locaux et a pris le sens de lubie dans le langage des villageois. |
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